Ouaf ouaf


La place des petits chiens au Japon ! Voilà un sujet d’étonnement sans cesse renouvelé, et qui est, sociologiquement parlant, sans doute bien plus profond que le biais un peu léger par lequel j’aborde la chose… 

Alors badaboum, voici tout d’abord ma conclusion, limpide, tranchée, définitive : Si je devais me réincarner au pays du soleil levant, ça serait en petit chien. C’est une évidence.

Si j’ai tergiversé pour écrire ce billet, c’est qu’il m’a fallu un peu de temps pour me formaliser deux choses.

La première est qu’au Japon les canidés constituent une alternative réelle aux enfants ; c’est sans doute vrai dans beaucoup de pays, mais vu l’ampleur du phénomène, je me demande si ici les enfants ne seraient pas finalement devenus une alternative bas de gamme aux toutous. La seconde est liée : en comparant des armées de chiens pomponnés avec mes propres rejetons, je suis obligé d’admettre qu’il y a une réelle différence en termes de soin, d’éducation, de savoir-vivre, de gentillesse, de propreté, d’humour… mais que cette différence ne joue pas en faveur de ma progéniture. Un point pour eux, donc. Fort de ces deux étonnements (qui me vaudront des remarques indignées à la maison et quelques années de psychanalyse familiale), voici ce qu’on voit dans les rues à Tokyo, objectivement et sans jugement, ou si peu.

On voit d’abord beaucoup de salons de toilettages et de garderies pour chien. Le salon de toilettage peut à priori sembler quelque chose de banal, mais il y en a beaucoup, bien vitrés et bien visibles. On y constate un niveau de modernité, une sophistication, une déco, un personnel, qui relègueraient n’importe quel salon de beauté pour humain au rang de taudis miteux. Les « garderies » sont également assez communes, elles sont agrémentées de jeux d’éveil, d’installation et de soins qui font saliver Georges et ses compagnons depuis leur crèche d’enfant.

Inu-sama (disons Médor), mon ami, tu ne connais pas ton bonheur et ta chance. La planète des chiens, c’est ici.

Le week-end, Médor est de sortie. Il est de petite taille, et les âmes les plus viles verraient en lui un infâme roquet. Ici, il est adulé. Il dispose d’une poussette dernier cri dans laquelle il trône et d’où il contemple les rues tokyoïtes. « Quel enchantement, se dit-il, je ne manque de rien et je puis songer à ma destinée de chien et à son lot de frivolité. Oh, je sais, cela dérange certains. Je vois bien dans l’œil de ce français dégarni une circonspection qui confine au dégoût. Je le devine jaloux. Il devrait s’inspirer des Stoïciens et accepter le monde tel qu'il se présente. Je n’ai cure de son jugement et suis au-dessus de tout cela. Peut-être à force de travail et d’intelligence sera-t-il à ma place un jour. Bon prince, je lui souhaite en tous cas ce destin doré. Ouaf, ouaf ! ».

Médor est aussi parfois porté en porte-bébé, voire dans un genre de petit scaphandre, ou dans toute sorte d'attelage. 


Son poil est impeccable, avec un volume généreux - il sort du salon de beauté, où sa permanente n’a pas été négligée. Médor peut parader dans les avenues sous le regard attendri de ses « parents ». Il croise souvent des camarades, qu’il salue gentiment. Parfois, un (insupportable !!!) jappement lui échappe. Ses maîtres sursautent mais ne lui en tiennent pas rigueur : son éducation est toujours en cours et l'on rit de bon cœur de ces facéties de jeunesse !

Médor est également très présent sur Instagram où il compte devenir influenceur croquette.

Quel amour !

Médor n’est pas à poil. Enfin si, mais non. Il est vêtu des plus beaux tweeds et a du mal à se faire à ses nouvelles chaussures qui lui donnent une démarche d’échassier. Sa casquette anglaise lui confère un style vintage qui fait craquer les badauds. Il méprise Mirza (ci-dessous) et son look bad boy.


Kawaï !

Voilà pour Médor. Le marché récréatif du petit chien est donc en plein boom, et il ne faut pas être grand clerc pour anticiper la suite et tirer le trait de ce segment prometteur. Tu rêves de fortune et d’EBITDA rondelet? Lance-toi dans les tous premiers cours de théâtre pour chien, monte des ateliers danse, des initiations cuisine (croquettes au bœuf de Kobe), des défilés de mode. N’importe quoi d’avant-gardiste et d’humanisant.

Au-delà du facile sarcasme, on peut tout de même se réjouir de deux choses. D’abord ces braves bêtes sont mieux que bien traitées, et c’est tant mieux. Ensuite et surtout, pas de crottes de chien ici ! Les déjections sont toujours ramassées, les surfaces souillées sont rincées à l’eau et l’odorant sac plastique est rapporté à la maison puis jeté. Cela implique une certaine discipline, tant sur le moment qu’une fois chez soi, où il ne faut pas oublier la dernière étape. Gare aux têtes en l'air.

Comme souvent j’arrive au point de l'article où l’on se dit "C'est long... Où veut-il en venir? Qu’est ce qui est en jeu? Qu'est ce que tout ceci nous dit de la société japonaise?" ... Et comme toujours, je vais m'en tirer par une pirouette : "Partout où il y a un malheureux, Dieu envoie un chien", disait le bon Lamartine.

Cave canem !

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