Douce France

Après près de 6 ans passés loin de la mère Patrie, il est inévitable (surtout pour les enfants) que la vie en France soit un lointain souvenir… Notre beau pays, peu à peu, devient le lieu éphémère des grandes vacances et des cousins. Alix m’a dit l’autre jour « ça a l’air chouette de vivre en France ». Je ne me souviens plus très bien à quoi elle faisait allusion, mais ce détachement m’a ébranlé. « Educateur mon ami, me suis-je dit à moi-même en fronçant les sourcils, tu fais face à une question grave. Avec des paroles simples, cette enfant te signifie que son sentiment national s’estompe. En creux, elle exprime une détresse et une perte de racines, ce qui plus tard flétrira ses ailes. Sa boussole intérieure pointe vers un grand tout confus et chaotique. Paris n’est plus qu’un aéroport, et la ligne bleue des Vosges n’évoque rien. Les Lumières sont "ce qu’il faut éteindre derrière soi en sortant de la salle de bain, bordel !" Olivier mon ami, me suis-je redit en fixant cette fois le plafond, l’heure est à l’action».

La lancinante question me hanta dès lors, me rongeant le foie dans des heures d’insomnie douloureuses : comment réveiller l’attachement national, comment ressusciter la France dans le cœur de cette jeunesse apatride ? La lecture des aventures de Superdupont ne pouvait suffire… Après bien des égarements, saisi d’un flash, et somme toute comme bien des congénères expatriés, j’optai finalement pour la seule solution efficace :

REGARDER TOP CHEF !!!

C'est pas vraiment top chef mais j'ai mangé ça l'autre jour et c'était bon.

Mais oui ! Bien sûr ! Top Chef, c’est la cuisine française, c’est l’excellence en assiette, c’est ce qui nous unit quand tout nous divise, c’est l’histoire en emporte-pièce. C’est l’école du doute (Descartes n’est pas loin), c’est le pont l’évêque, c’est le Châteaubriand, le bœuf bourguignon, le coq au vin. Notre géographie, nos terroirs, nos grandes figures et notre embonpoint. Notre alpha et notre omega 3.  le voyage au bout de la nuit (c'est long) et les grandes illusions. 

C’est aussi le temple de la répartie « P***, elle a pas pris, ma gelééée !!! », l’antre de l’à-propos « J’vais mettre un p’tit kick avec du yuzu », le culte des grands hommes « Pierre Gagnaire c’est LA légende », la combativité « J’pars pas aujourd’hui, y’a pas moyen j’vous l’dis, la place elle est pour moi », l’amour du drapeau « j’suis bleu, j’resterai bleu, y’a pas moyen ». C’est le just-in-time « dernière minute !! », le système D « mon soufflé est raté, je vais faire un poireau vinaigrette à la place ». C’est parfois le triomphe « j’suis coup de cœur p***! Y’a pas moyen! », c’est souvent la défaite « y’a une surcuisson sur la volaille, à ce niveau ça pardonne pas (y’a pas moyen)», c’est enfin le défi « faut battre le MOF, y’a pas moyen ! ».

En un mot, c'est la France.

Ça rissole, ça frit, ça sent bon jusqu’au Japon, où on bave devant notre écran. Les chefs dispensent leurs conseils avisés« Attention hein ! Tout sera dans l’équilibre et les goûts, allez, allez, allez !!!» (avec des amis pareils, on n'a plus besoin d'ennemis). Au fil des saisons, il y a systématiquement un fou qui essaie, et rate, la technique du sucre soufflé, un illuminé qui tente l’improbable alliance du munster et de la fraise, un inconscient qui se rebelle contre l’inamovible Philippe Etchebest, assez tatillon sur l’étiquette.

On prend parti pour les candidats qu’on aime et contre ceux qu’on déteste. On tremble face à une tuile qui ne craque pas assez, on pleure quand les amandes sortent cramées du four, on exulte quand le trompe l’œil est convaincant.

On se dit qu’Albane est vraiment trop expansive et on souhaite sa perte lors du premier épisode. Quelques semaines et un riz au lait plus tard, on se dit qu’elle est en fait authentique et qu’on ne s’en passera plus. Par les fourneaux et ses montagnes russes émotionnelles, on  change d’avis au gré des épreuves, on brûle ce qu’on a adoré et on adore ce qu’on a brûlé, comme dirait l’autre. Sous un verni de voyeurisme un peu inévitable, on s'attache, on s'éprend. La cible de l'émission est rien moins que l'excellence. Les jugements sont sévères, ça transpire, ça bosse.

Et puis vient la fin de l’émission. Le jeune César quitte le concours dans l’émotion et la dignité. Avé. Les bambins partent au lit en rêvant de sabayon, et demandent dans un dernier souffle « c’est ça, la grande cuisine ? »« Mieux que ça chers petits, c’est ça, la France. Le reste n’est que billevesée. Dormez, enfants de Marianne, demain je vous fais des nouilles au beurre. Y'a pas moyen ».

Mission accomplie, cocorico! Malgré la distance et le choc des cultures, il nous reste top chef, ce phare qui brille dans la nuit et nous ramène au pays de Va-t-il et de Vatel (c'est nul mais ça sera ma chute, dans tous les sens du terme).

Commentaires

  1. Mais c’est teeeeeeeeelllement ça !!! 😂😂🤣🤣😬🇫🇷 Olivier encore une fois en plein dans le million 🤩 tu es le MOF des blogs de ce monde 🤩

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