Fascinant Japon : sumo et administration
Cela fait bien longtemps que je n’ai pas écrit quelque chose sur ce site. Bien que ça n’ait pas l’air de manquer à grand monde (Aurore éprouvant même une certaine satisfaction à me voir « enfin la fermer un petit peu »), j’ai tout de même décidé de relancer un billet sous forme de récit de 2 expériences récentes.
Derrière l’ironie bienveillante dont je ne parviens à me départir, le lecteur saura déceler une tendresse profonde pour ce pays magnifique et ses petites particularités.
GRAISSE ANTIQUE (oh oh. Ca commence très fort.)
D'abord une rapide évocation du Sumo, que je n'avais pas encore abordé. En ignare je considérais jusqu’alors ce sport comme un rituel un peu vieillot, passage obligé au Japon. Je m’attendais surtout assister à un spectacle de gros qui se poussent. Oh, bien sûr, il y avait la fascination bien connue de Chirac pour la discipline... Mais qui ne suffisait pas, bizarrement, à entièrement dissiper mes doutes.
En entrant dans le Ryogoku Kokugikan (la salle des tournois à Tokyo), on est d’abord cueilli par le décor, les costumes, les codes. Le tableau général est un peu hors du temps et on se laisse imprégner par cette atmosphère de tradition ancienne. Puis, dès les premiers combats, on plonge avec jubilation dans les règles, les classements et le spectacle.
Je ne vais pas me lancer ici dans une fastidieuse explication des subtilités du sumo (j’aime cette phrase qui laisse à croire que je les ai comprises).
Mais tout de même, sur le déroulé:
- Avant chaque combat, un espèce de chantre (le yobidashi) présente chaque lutteur dans une sorte de psalmodie chantée « côté Est, untel, côté Ouest, machin ».
- Les sumos entrent sur le dohyo et lancent du sel en l’air en signe de purification.
- Ensuite les deux combattants entament un genre de dansent du combat : on lève la jambe, on se toise, on se met en position. Le combat va-t-il commencer? Non! Fausse alerte : on se relève bruyamment en se tapant la poitrine avec des bruits de bouche, et on file dans un coin en courant.
- On reprend une pincée du sel qu’on rejette sur le dohyo (une fois, un lutteur en a pris une pleine mesure avec les deux mains, et l’a jetée en l’air. Tout le monde a fait « Ooooooooh ». Nous aussi du coup).
- Enfin, ça y est... Lorsque les deux ont mis les deux poings au sol le combat commence. Le choc est terrible et ça fait un gros « plaaaac »
- Suivant les tactiques, ça devient un concours de claque, de prise de judo, de poussette, d’évitement etc. Si aucun lutteur ne prend rapidement le dessus, on arrive souvent à un moment où épuisés, nos deux compères se retrouvent enlacés et immobiles en attendant de reprendre leur souffle. Cela peut durer longtemps et je suis surpris qu'aucun ne tente alors la technique du bisou ou des guilis pour déconcentrer l'adversaire. Cela doit être interdit par le code d'honneur.
- Parfois c'est violent, rapide, spectaculaire. Il n’est pas rare de voir un des protagonistes littéralement envoyé valser dans les premiers rangs des spectateurs, qui finissent alors aplatis, en descente de lit.
- Les tournois (bashos) durent 15 jours, pendant lesquels chaque sumo combat une fois par jour.
- Le plus haut grade est « Yokozuna ». Lorsqu’on était là le Yokozuna a perdu son combat. On a fait « Boouuuuuh !!» mais je crois qu’on était les seuls.
Généralement quand on a suivi une journée on est un peu mordu pour la suite du tournoi qu'on suit assidûment.
L'expérience est marquante : j’ai pris l’habitude à la maison de traîner en slip, de jeter des pincées de sel en l’air pour purifier l’appartement, de me baisser puis de me relever bruyamment et de courir dans un coin du salon. Le médecin pense que c’est l’affaire de quelques semaines.
RIEN A DECLARER ?
A la naissance du petit Georges, j’ai bien dû aller le déclarer aux autorités japonaises. Dans le feu de l’instant j’ai pris la chose avec une certaine forme de naïveté qui m’étonne encore. Mon raisonnement était le suivant : muni des bonnes pièces justificatives, les démarches administratives seraient un jeu d’enfant, pensais-je.
Me voilà donc à la mairie de Shibuya (notre « arrondissement »). J'étale fièrement mes papiers sur le comptoir en balbutiant quelques phrases incomplètes en japonais, sous le regard inquiet de la préposée aux naissances. Silence pesant. L'inquiétude devient hostilité. Ses yeux obliquent vers l’horloge, puis reviennent lentement se planter dans les miens ; je vois distinctement dans ses prunelles noires passer une lueur agacée, comme un : «Euh... Il est 16h40, la mairie ferme dans 20 minutes, tu débarques la bouche en fleur et baragouinant 3 mots de mauvais japonais, avec des documents qu’il va falloir reprendre de A à Z … je te hais. »
« それは何ですか? » (« qu’est ce que c’est que ça » ? ) me demande-t-elle en désignant du doigt une section d'un des formulaires.
« Ça », c’est le nom d’Aurore que j’ai rempli sur la déclaration de naissance, fidèlement reproduit tel que sur son passeport : « FROLLO DE KERLIVIO EP. ROULLEAUX DUGAGE AURORE JEANNE STEPHANE MARIE ». Impossible de raccourcir, c'est la règle ici.
Stupeur.
On appelle un interprète pour vérifier que j’ai bien compris l’intitulé de la case, et que je n'ai pas rempli par erreur avec ma liste de courses ou des considérations sur le sens de la vie.
Je confirme que c’est bien le nom de madame.
L’employée n’en revient pas. Dans ses prunelles noires l'hostilité est devenue désespoir. L’heure tourne et semble entamer une danse sans fin avec le diable, anéantissant ses espoirs de quitter le travail à l'heure. Mais bon... Elle a passé à l’embauche un pacte faustien avec le sens du devoir. Donc c'est parti.
D’abord, il faut traduire phonétiquement cette tartine d’identité, ainsi que le reste, pour reproduire l’ensemble dans les deux alphabets japonais Hiragana ET Katakana. Cela s’apparente à un exercice d’orthophonie, on me fait répéter chaque syllabe plusieurs fois pour la reproduire le plus fidèlement possible. On disserte sur l’interprétation de chaque son et de la meilleure manière de le transcrire. Un consensus semble émerger.
Un autre employé vient ensuite vérifier que l’ensemble tient la route. Il se plante devant moi et me déclame à haute voix le résultat final, pour que je puisse juger de la ressemblance avec le nom en français. C'est assez rigolo et je ne peux réprimer un petit rire. Les éclairs qui dansent maintenant dans les globes de ma bienfaitrice me rappellent à une certaine tenue.
Tout est finalement traduit et les documents remplis. Il est 18h30, et cela fait plus d’une heure que les bureaux sont fermés, il ne reste que nous. Autour de moi, un interprète, 2 employés, et une hôtesse d’accueil. A part les lueurs de regard par ci par là, j'ai bénéficié d'un support constant et d'une volonté de terminer toute la procédure.
Honnêtement, je dois confesser une réelle admiration pour le service public japonais, car même moi j’ai eu envie de me coller une droite.
Un autre exploit, mais qui n’est pas propre au Japon, est de réussir à faire une photo d’identité à un enfant de 4 jours pour un passeport. Le cahier des charges est immuable : les yeux doivent être ouverts et fixer l’objectif, la tête relevée, les deux oreilles visibles, la bouche fermée. A cet âge, c’est un peu comme demander à hamster de réciter du Molière. Georges, si tu lis un jour ces lignes, sache que tu as dû entendre des choses drôles, puis absurdes et enfin infâmes pour aboutir finalement à cette photo dégradante où le lait te coule du coin de la bouche, et qui te sert de viatique pour prendre l’avion.
Pardonne-nous.
Ca sera tout pour aujourd’hui.
A bientôt !
Magnifique. Victor Hugo peut aller se rhabiller 🤩
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