3 jours en enfer



Voici la chronique d’une famille ordinaire, qui a dû, s’en retournant au Japon, vivre l’intéressante expérience d’un isolement familial total et obligatoire pendant 3 jours dans une chambre d’hôtel… Nos correspondants ont suivi ces gens sympathiques :

Et bien oui, mesdames et messieurs, oui !!! ce sont bien 3 jeunes enfants et leurs adorables parents qui vont, sous vos yeux amusés, partager leurs joies, leurs peines et leurs mesquineries, le tout dans une chambre de 10m² sans autorisation de sortie avec, pour corser l’affaire, une reprise du travail à distance, des toilettes mal isolées et des repas soigneusement étudiés pour mettre nos candidats dans tous leurs états ! Qui va craquer en premier ? D’où partira la première insulte ? Quand l’animal prendra-t-il le pas sur l’être humain ? Vous le saurez en regardant ‘3 jours en Enfer’ !!!

Ce petit billet est un hommage à tous ceux qui ont vécu ces moments, et particulièrement nos amis en Chine et ailleurs en Asie, pour qui cet isolement se comptait en semaines, et non en jours…

Jour 0

5 heures après être sortis de l’avion, nous arrivons finalement à l’hôtel désigné par le gouvernement pour les 3 jours de confinement. Le fait que nous soyons vaccinés n’y a rien changé. Hirsutes et éprouvés par les démarches sanitaires après le débarquement, nous avons enfin passé la douane à l’aéroport, synonyme de départ vers l’hôtel. Laquelle douane n’a d’ailleurs trouvé, en fouillant nos bagages, nulle trace des pâtés et foies gras qui y étaient dissimulés, contrairement au malheureux Français qui passait à côté et qui s’est tout fait rapiner. Ce triomphe nous donne du baume au cœur et nous nous sentons invincibles.

A l’accueil de l’hôtel, nous nous sentons moins invincibles. On nous explique qu’il va falloir nous séparer, aucune chambre n’étant prévue pour 5 personnes. Je devrai rester avec Arthur et Louis, et Aurore sera avec Alix. On nous donne 10 sacs poubelles et un thermomètre chacun (Nous apprendrons en fin du séjour que ces appareils étaient prévus pour une prise de température sous l’aisselle). Les adieux sont déchirants « Bon, ben, à plus hein ». Ereintés par le vol et le comité d’accueil, nous sombrons dans un sommeil immédiat.

Jour 1

Après une nuit hachée (décalage horaire oblige), nous sommes finalement réveillés par la douce voix d’un haut parleur, malicieusement dissimulé dans notre chambre. On nous informe que notre petit déjeuner a été déposé devant notre porte et qu’il nous faut glisser un bras dehors pour le récupérer. Dans le couloir, les gardiens veillent jour et nuit au bon respect des consignes.

Rompus à l’exercice des petits déjeuners difficiles, nous nous sommes bien sûr munis de réserves conséquentes : Crêp’choco, pomm’potes, Pitch, Yop.

10h00 - l’ennui guette déjà les enfants désœuvrés, car je dois travailler. Ils écoutent gentiment la fin des 3 mousquetaires sur Audible, commencés pendant les vacances. A force d’entendre pendant de longues heures les aventures des intrépides compères et du cardinal, nous nous sommes mis par un mimétisme ridicule à imiter l’ami Dumas.

- Ah, ça donc, Arthur ! N’aviez-vous pas promis, une fois votre lecture achevée, de rappeler madame votre mère, détenue avec votre sœur dans la cellule voisine, pour la tenir informée de votre santé? Je crains qu’elle ne se fasse quelque mauvais sang pour vous et votre frère ; mauvais sang qui fait suite aux menaces de mort que j’eus la faiblesse de vous adresser, lorsqu’au cours de mon récent entretien avec les Amériques, vous passâtes à moitié nu dans le champ de la caméra de mon ordinateur en riant de bon cœur. J’eus tort et j’en conviens. Mais j’en réponds, vous êtes un méchant drôle !

- Si fait, monsieur mon père. Je ne vis que pour votre miséricorde, et si vous me faites la grâce de votre pardon, je saurai vous montrer mon affection. Souffrez monsieur que ça n’est pas un hypocrite qui vous trompe, mais une âme repentante qui vous implore. J’accèderai également à votre demande de manifester quelque signe de vie à madame ma mère, tant il me tient à cœur d’être bon fils, fidèle parent et honnête compagnon. Mais avant, je vais aller faire caca.

- Cardinaliste.

- Tudieu, monsieur!

12h00 – le moral prend un petit coup face à notre plateau repas. Nous retrouvons les petits ramequins froids, que nous mangeons sur une table improvisée avec des valises. Louis s’effondre en larme et réclame un poulet rôti et des frites. Un silence pesant règne.

14h00 – Arthur a délaissé son livre et découvre le baseball en continu à la télévision japonaise. Son regard est perdu dans l’écran et il bave. Parfois il maugrée « mmm… encore raté… Quel nul ce Suzuki… ».

17h00 - petit bac. On tombe sur Z. 

- Papa, zob c’est un animal ?
- Euh non, enfin si… Dis donc, ça t’amuse, ça?
- Oui.
- Cardinaliste.
- Tudieu, monsieur !

18h00 – le dîner est livré -> déjà ? oui déjà.

18h02 – Louis ouvre son plateau repas et s’effondre en larme.


Jour 2

11h00 - Les garçons se rédigent des déclarations de guerre « pour rire », et se les envoient de part et d’autre du lit. Face à mon inquiétude, ils me jurent que cette activité, ainsi que son inévitable développement de violence, ne saurait être de nature à troubler ma journée de travail.

11h06 – Louis hurle après avoir reçu un coup de pied au plexus lors de la première bataille de la guerre, et se jette sur son frère en le griffant au visage, lui promettant une damnation éternelle. L’engrenage est infernal. Mes collègues, connectés par webconference, s’enquièrent de l’équilibre psychiatrique de ma progéniture, ce qui me donne l’occasion d’y réfléchir également.

11h10 – les jeux paralympiques commencent à la télévision, scellant l’armistice. Louis se plaint que « c’est nul on voit que les japonais ».

12h00 – les plateaux repas / bento reviennent. Louis, livide, se roule en boule sous sa couette et refuse de sortir. Arthur déclare qu’il va plutôt aller prendre un bain, et qu’il vivra désormais nu. Les fondements civilisationnels s’effritent.

16h00 – Nous nous lançons dans un débat sur le thème « l’espadrille est-elle oui ou non la meilleure chaussure du monde ? » ?

Voilà la synthèse à toutes fins utiles

Arguments pour
- Des tissus basques colorés,
- Le cousu main : on supporte l’emploi local et on a bonne conscience,
- « Espadrille » et « Escadrille » sont des mots qui se ressemblent drôlement. Louis y est sensible.
- Ca fait vacances.

Arguments contre
- Une durée de vie d’une petite semaine,
- Après deux jours, La chaussure quitte le pied dès l’allure de la marche rapide. Tout escalier devient dangereux,
- Une fois mouillée l’espadrille peut être considérée comme fichue,
- On a, finalement, l’indicible sentiment de s’être fait avoir en achetant à prix d’or un genre de pantoufle avec une semelle de foin.

Conclusion : clairement pas, non.

19h30 – Après 2 jours à regarder le baseball, Arthur se renseigne sur les règles du jeu. Il s’avère que Suzuki n’était pas nul du tout.

20h00 – avec tout ça je réalise qu’en 2 jours les garçons n’ont presque pas mangé et qu’ils me regardent maintenant avec un regard plein d’appétit, et une lueur un peu folle au fond des prunelles. Je décide de dormir avec une veilleuse et un couteau sous l’oreiller.

Jour 3

07h30 - les tubes pour les tests PCR de sortie sont déposés dans nos chambres (tests salivaires). Louis qui a compris le truc après l’aéroport, se taisait depuis 20 min et remplit son tube en un coup quasiment, ce qui lui vaut nos félicitations émues.

10h00 -  il est temps que l’aventure se termine. Louis s’amuse à sauter d’un lit à l’autre en prenant appui sur ses genoux, Arthur lit « petit pays » et ça lui colle le cafard.

15h00 - nous quittons nos chambres ! Retrouvailles émues. Un peu hallucinés par l’air naturel et la lumière du jour, nous avançons vers notre Uber, pâles, émaciés et titubants. Le chauffeur nous voit arriver en serrant une bombe de gaz poivre, mais nous accepte finalement.

Ca sera tout pour aujourd’hui. Maintenant, dodo, lasagnes et pâté. Ras le bol.

Commentaires

  1. Trois jours pour un test PCR, c'est totalement ridicule ! Ça dénote bien de l'esprit politique nippon. C'est navrant. Je compatis sincèrement.

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    1. Un avant l’avion, un a l’arrivée À Tokyo et un après trois jour d’hotel. Puis 11 jours de confinement à domicile :)

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    2. Quelle suspicion ... C'est navrant.

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  2. J'adore ! Je me marre toujours autant à te lire !

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