Safe place
Photo Charlotte D. - métro Tokyo |
L’idée de cette note m’est venue après une petite expérience récente. Je me rendais de bon matin sur les hauteurs du parc Arisugawa pour mon cours de tennis, le cœur bien lourd en songeant à l’inévitable débâcle qui ponctuerait cette heure avec mon professeur. Je savais qu'il s’imposerait fatalement à la fin, que j’en sortirais écarlate, en nage et à la limite de la syncope. Lui, légèrement rosé mais désespérément sec, n’ôterait son Sweat qu’en toute fin de match, comme pour me signifier que notre petite opposition le laissait frais et n’était pas digne de sa transpiration. Pire, il irait jusqu'à abaisser son niveau de jeu lorsqu’il jugerait plus sûr (pour la pérennité de son emploi) de me laisser recoller au score... Les baisses de régime suspectes d’un adversaire supérieur sont au final bien plus infâmantes que de larges défaites. Viendraient ensuite pour moi les questionnements quant au sens de poursuivre ces séances, puis les encouragements bienveillants d’Aurore sur le thème « il faut beaucoup d’humiliations pour faire un peu d’humilité ».
J’en étais là de mes pensées en pédalant vers l’arène, lorsque mon portefeuille tomba de ma poche sur la chaussée, sans que je m’en aperçoive. Arrivé à destination je réalise le drame, refais le trajet dans tous les sens. En vain. Face à mon désespoir, le « Maître » (c’est ainsi que le coach veut que je m'adresse à lui, en baissant les yeux… Ok, j’en rajoute…) me déclare : « aucune inquiétude! On fait le cours, et tu le retrouveras forcément en allant à la police ensuite ».
Une heure plus tard me voilà au kōban (antenne locale de la police). En souriant, l’officier me tend mon portefeuille. Rien n’y manquait. Quelqu’un l’avait ramassé et immédiatement rapporté. Confronté à une explosion de joie un brin démonstrative, le policier me fixe d’un air un peu incrédule, la main gauche glissant imperceptiblement vers sa matraque. Dans l'euphorie, je déclame en japonais « Japon super! Japon super! ». En face, mon interlocuteur ne saisit visiblement pas l'intensite de mon soulagement, et encore moins l’intérêt à l’exprimer comme ça.
Voilà donc où je veux en venir : le Japon est incroyablement sûr, le sens civique fait partie des obligations intangibles de tout un chacun. J’avais été marqué en arrivant ici, par le métro le matin : on y croise des enfants de 6 ans (voire moins) qui se rendent à l’école tous seuls. Les vols et agressions sont rares et petit à petit, avec la confiance, on adopte des « mauvaises » habitudes : oublier ses clés de voiture dans l’habitacle, poser son portefeuille sur la table d’un café, ne pas attacher son vélo dans la rue, etc. On devient de façon naturelle totalement insouciant sur le terrain de la sécurité. Les transports, les restaurants, les rues, les lieux d’affluence et les recoins peuvent être arpentés à toute heure sans grand risque. Il y a bien sûr une criminalité spécifique au Japon, mais elle est peu visible et ciblée. Cela ne rend pas les événements pénibles / dramatiques impossibles, disons qu’ils sont juste très improbables.
Il y a tout de même un revers à la médaille, qui est la promptitude des japonais à appeler la police pour pas grand-chose. L’explication "en face-à-face" étant culturellement proscrite, le réflexe du petit coup de fil aux forces de l’ordre semble bien ancré. Cela peut valoir quelques sueurs froides aux parents, lorsque des idées - pas bien méchantes - traversent la tête des enfants dehors (e.g. faire des passes de foot dans une ruelle quasi déserte). On doit alors longuement plaider la cause des bambins face à des policiers tenaces et procéduriers. Le tout en devinant, derrière le voilage d’une fenêtre avoisinante, la très civique satisfaction du délateur.
Un autre revers à la médaille (il y aurait donc deux revers à la médaille? De qui se moque-t-on??? Un deuxième revers, voilà qui est en tout cas cohérent avec l'introduction tennistique de ce billet. Vraiment, quelle maestria dans la mécanique du récit...) est que la police n'y va pas par le dos de la cuillère en ce qui concerne la réponse aux incivilités et petits délis. J'ai rencontré un français dont le fils lycéen s'est fait surprendre à chaparder une canette dans un Konbini (supérette). Le pauvre s'est fait cueillir le lendemain chez lui par toute une escouade et a dû faire 36h de prison en pyjama réglementaire. A la suite de quoi il y a eu reconstitution minutieuse du crime au Konbini avec 8 policiers - "quels gestes?", "que regardiez vous?", "si vous avez volé une canette, avez-vous aussi volé un canard?" - puis passage devant le juge... Au final c'est sa sociabilisation et ses bons résultats scolaires qui ont décidé le juge à en rester là.
En conclusion, je dirais que le quotidien est reposant (pour autant qu'on reste strictement dans les clous) : pour l’immense majorité dont nous faisons partie, le « sentiment d’insécurité » n’existe pas ici.
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