langue japonaise : rapport d'étonnement
Je n’ai pas la prétention d'être en capacité de faire un cours de vulgarisation de la langue japonaise, et cela tombe bien car ça n’intéresserait pas grand monde. Mon niveau est hélas bien trop faible, et si ma pauvre enseignante apprenait que je me lance dans pareille entreprise, elle s’effondrerait dans un mélange de larmes et de sarcasmes.
Pour preuve de mes limites, le temps qu'il me faut pour sortir des phrases simples de la vie quotidienne: dans le taxi, je dois fermer les yeux et pratiquer une méditation profonde en émettant un son grave pendant une bonne minute, avant d’être en mesure d’articuler « au prochain feu vous prendrez à gauche s’il vous plaît » ; cela pose un réel problème d’anticipation. Entre le moment où je dois dire quelque chose et celui où une phrase à peu près construite sort de ma bouche, il se passe systématiquement un temps qui rend la parole caduque. Quand enfin, je prononce fièrement « il n’est pas nécessaire de me donner un sac plastique », mes courses sont déjà empaquetées sous trois couches et le magasin ferme.
A l'inverse, lorsque j’essaie de raccourcir ce temps de latence en misant sur l’effet d’entraînement que deux premiers mots devraient provoquer sur le reste-à-dire, je m’arrête généralement en panne sèche au beau milieu de la phrase dans un gémissement. Au travail, cela donne des déclarations en japonais du genre « Ok, mais le problème, c'est que … mmmm… euhhh.... aaaaaah! ». En face mes collègues saluent généralement l’effort dans un sourire attendri et essaient de deviner en anglais la fin de ma phrase, souvent avec humour.
Mais enfin... j’avance à petits pas et je suis tout de même en mesure de relever quelques spécificités du japonais que je m’en vais partager.
La base tout d’abord : il y a 3 systèmes d’écriture au japon
- Les Hiragana, genre d’alphabet phonétique : chaque caractère est un phonème. Ils n'ont pas de signification intrinsèque, on les assemble pour former des mots et c'est un peu "comme chez nous". Facile.
- Les Katakana, même chose que les Hiragana, mais pour les mots d’origine étrangère. Facile.
- Les Kanji, caractères venus de Chine (avant leur simplification sous Mao). Evidemment il y en a des milliers. Chaque caractère a une signification intrinsèque, mais elle peut varier suivant l'usage (de même que sa prononciation). Pas Facile.
Les phrases écrites sont généralement un savant mélange de tout ça. Pas facile du tout.
Il faut ensuite noter que le Japon est un pays de nuance. En fonction des conditions dans lesquelles on se trouve pour dire une chose simple, on ne le dira pas pareil. On ne dit pas forcément juste « merci » ou « bonjour » mais on prend en compte le contexte (dans les faits, je prends rarement en compte le contexte). En résulte des subtilités qui me plongent dans des abîmes de perplexité:
Il y a aussi les fameuses "litotes"... je ne suis pas bien sûr du terme "euphorisme" donné dans le livre... :
et le contexte donc:
Autre difficulté, la grammaire et les conjugaisons. Et là, ça rigole pas. Sans rentrer dans les détails, les formulations fourmillent, entre autres, de doubles négations qui permettent donc de revenir à l'affirmative . Par exemple pour exprimer : "il faut faire quelque chose", on pourra très bien dire "ne pas faire quelque chose n'est pas permis". C'est un coup de main à prendre mais ça augmente significativement mon temps de compréhension et je pige une fois sur deux l'inverse de ce qu'il faudrait. C'est gênant, par exemple lorsque le message est "il ne faut pas appuyer sur ce bouton".
Par ailleurs il existe des formes verbales selon ce qu'on veut dire et à qui l'on s'exprime.
Par exemple, boire se dit "nomimasu" (on prononce nomimasse) ce qui est la forme de base, polie et bien élevée. Vous l'aurez deviné, "je n'ai pas bu" devient "nomimasendeshita". Et bien, dans un cadre familier on passe à la forme dictionnaire, et "nomimasu" devient "nomu", mais au négatif ça sera "nomanaï", qui transmute en "nonda" au passé, et en "nomanakata" au passé négatif. Cela devient bien entendu "nonde" si par exemple on demande à quelqu'un de boire. En gros, et vous l'aurez noté bande de petits génies, le point commun est "No" au début, et on applique ensuite différentes règles en fonction de la forme de base et du groupe du verbe (il y a ça aussi). Il faut donc être au taquet sur la ou les première(s) syllabe(s) du verbe, et bosser un peu les règles du jeu... en espérant taper juste dans la compréhension. J'en suis là. Vous voyez que c'est pas brillant.
La critique est facile car le français n'est pas plus simple, mais les nuances me semblent beaucoup plus fines en japonais. Ou alors je vieillis et ça me semble plus complexe. Dans tous les cas, par rapport au chinois c'est dur, et c’est vrai que côté conjugaison et grammaire c'était les vacances en Chine. La bas, c’était les tons qui étaient un supplice.
Il y a tant à dire, mais j'espère par ces quelques petits exemples vous avoir au moins donné une migraine, maigre consolation quand on considère l'angoisse qui m'accompagne tous les jeudis matin avant mes 2h hebdomadaires avec Hayashi-san. 2h bien insuffisantes pour une pratique sérieuse, mais qui avec un peu de travail permettent de gravir les barreaux du bas de l'échelle.
J'y reviendrai peut-être lorsque je serai plus à l'aise. En attendant je vous laisse interpréter ce que cela dit du Japon, et vais pour ma part prendre un doliprane en concluant, modestement, que cette langue est difficile mais d'une subtilité redoutable. Elle permet de faire de la dentelle et de construire par petite touches la grande toile intime de l'âme humaine.
C'est sur cette remarque, un peu pédante et bien mièvre (mais sans doute pas si fausse), que je finis ce billet.
Ça me rappelle mes premiers cours de japonais quand tu étais encore tout petit. Mais moi, j’ai jeté l’éponge au cours numéro 3. Ça ne me servait à rien et je préférais courir la gueuse. Ça m’a servi une fois à demander mon chemin à Kyoto.
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