Cauchemar en cuisine

Ceux qui me connaissent savent que je suis du genre "facile à nourrir"... Ma pauvre maman dirait que je commence moi aussi à prendre le pli des litotes (voir autre billet), elle qui tremblait jadis vers 19:00 au moment d'ouvrir la porte du frigidaire. Elle avait un infaillible don de voyance, et savait en avançant la main vers la poignée que l'inventaire théorique n'existait déjà plus que dans son esprit, qu'elle trouverait les réserves décimées et que même les restes les plus avancés auraient disparu. Seuls subsisteraient les emballages et bols vides, ultimes vestiges d'une opulence engloutie.

J'ajoute que je ne suis ni allergique ni intolérant à quoi que ce soit, et au final plutôt aventureux face à des menus exotiques. J'ai tout goûté en Chine et au Japon, jusqu'à la limite du décent. J'ai trouvé bon des choses répugnantes (surtout en Chine), j'ai croqué des têtes d'oiseau cuites en disant "tiens c'est pas si mal" et j'ai mangé des plats si épicés qu'ils m'ont détaché une amygdale. 

Bref, je suis pas compliqué.

Mais il y a tout de même un moment où l'on a envie d'être peinard et dans une certaine forme de confort, c'est au petit déjeuner. Le petit déjeuner, ce moment de brouillard où le logiciel s'initialise, où la notion d'effort et de dépassement de soi n'existe pas encore. Ou le corps est encore engourdi et l'esprit pas encore dégourdi.

A l'hôtel en Asie, on peut ainsi ruiner toute une journée à 7h15 lorsqu'à la question "do you have any toast or bread?", le staff répond "Oooh, sorryyyy... Japanese breakfast only". La première fois on se dit "chouette, découvrons!

On se fait alors livrer une boîte noire laquée et couverte. A l'ouverture, c'est d'abord assez joli : 6 ou 8 petites spécialités bien agencées qui offrent une diversité de couleurs et de formes attirantes. Et puis on se dit que ça a comme un air de déjà vu, et on constate que chaque petit ramequin rappelle fortement le dîner de la veille. 


Un soupçon naît :"on mangerait pas les restes d'hier soir, mais en froid?
Une réponse s'impose :"si, tout à fait".

Tout en poussant chaque aliment de la baguette pour en tester la texture avec une moue circonspecte, on passe de l'optimisme à l'abattement à la vitesse d'une Maserati. On se renfrogne en bougonnant  "franchement, un toast et un café, ça serait trop compliqué? Non bien sûr! C'est tellement meilleur, les radis au soja sur émietté d'anguille... et ça c'est quoi? Merveilleux... une boulette de tofu au gingembre...". En face, votre aimé(e) n'en mène pas plus large et un silence pesant s'installe.

C'est un moment critique. Des disputes mémorables peuvent naître à ces secondes précises, par exemple si celui ou celle qui n'a pas organisé le voyage lance un "y'avait pas un autre hôtel disponible?...". Si vous vous retrouvez un jour dans cette situation, essayez, vous verrez. 

C'est ce qui nous est arrivé au ski à Hakuba, où l'hôtel, pourtant connu pour être un repaire pour occidentaux, ne proposait au petit déjeuner que le jus d'orange comme seule concession à la western food:

- Mais si... Mangez les enfants, c'est très bon pour la santé!
- (Enfants, spasmes et joues gonflées): Beeeeeeuuuuaaaaark c'est dégueu!!!
- on dit pas "dégueu"...
- si, c'est dégueu!
- arrêtez de parler comme ça; (à l'être aimé(e)) : tu leur dis rien toi? 
- si, voilà ce que je dis : c'est dégueu.
- Bon. Puisque personne n'aime les choses saines je vais tout manger tout seul et je serai le plus en forme et en pleine santé sur les pistes!
- C'est ça papa. Maman, t'as pas des Oreos?
- Ne vous inquiétez pas, les enfants. Laissez ces immondices et remontez avec moi pendant que Papa se met tout seul en forme et en en pleine santé (à dire en regardant l'autre d'un air moqueur et de défi)
- (Papa): Mmmmm, que c'est bon... Mmmm que je vais tout manger. Mmmm que c'est délicieux ce tofu. Oh que je vais être en forme et en pleine santé (à dire avec une lueur de folie dans les yeux)
- Maman, il me fait peur papa.
- Ne craignez pas chers enfants, restez derrière moi.

Tout s'arrange généralement lorsqu'Aurore, en génie prévoyante, sort un paquet de Kit Kat de son sac.

On retrouve ensuite des amis qui sortent de leur hôtel à eux en disant "pas mal le petit déjeuner, mais les croissants étaient un peu gras, et le bacon sur les oeufs était pas assez cuit à mon goût. mais les pains au chocolat étaient divins et le beurre demi-sel était un vrai plus". 
- Papa, maman, pourquoi on est pas dans cet hôtel? 
- Tiens oui, chéri(e), pourquoi?

Rebelote.

En Chine, c'était bien pire, certaines auberges ne proposant que de la soupe de riz gluant et des feuilles bouillies au piment. 

L'honnêteté oblige à reconnaître que maintenant on connaît un peu les risques et qu'on est généralement parés. 

A part ça le ski c'était vraiment formidable.

   


    















Commentaires

  1. Bien vu l'état d’esprit dans lequel on est au petit déjeuner : «  le corps encore engourdi et l’esprit pas encore dégourdi »☕️

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  2. Nous avons dégusté cet article. Merci à tous les cobayes!

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