Impressions soleil levant



Le temps passe, notre vie loin de France est maintenant bien ancrée ; et petit à petit nous perdons l’habitude d’écrire sur ce site, ce qui est d’ailleurs à peu près le cas pour tous les illuminés qui comme nous se décident, dans l’exaltation des premiers jours d’expatriation, à commettre un blog.

Mais face au raz-de-marée des demandes (Maman m’a dit hier « tiens, à propos de rien, qu’est-ce que tu deviens ? »), je reprends la plume pour donner quelques impressions et analyses qui une fois de plus feront date. Elles éclaireront le Lecteur sur le monde, et remettront en juste perspective les grands enjeux de l’époque. Incidemment ces notes permettront de trancher le vieux débat du Corps et de l’Esprit, en faisant un détour par la théorie de la grâce, le jansénisme et ses origines augustiniennes.

Commençons donc par les toilettes au Japon.

Moment béni s’il en est. Les japonais ont réussi le tour de force de faire de ce passage un peu tabou une expérience rédemptrice. On est d’abord surpris par la propreté des lieux et leur éclat, ainsi que par l’odeur suave et fleurie qui s’en dégage. On n’est pas agressé par un vulgaire « parfum pêche » qui n’est en général qu’un piètre cache-sexe pour les odeurs tenaces. Profondes et légères à la fois, les essences choisies forment un bouclier qui enferment les plus viles effluves en un éternel tombeau. On peut sortir de ce cénacle sans gêne, sans besoin de jeter au suivant ce fameux regard apeuré qui dit « désolé, mon frère, j’ai créé un démon en mes flancs », sans cette angoisse d’entendre son successeur gémir « Oooh » une fois la porte close, sans le remord d’avoir plongé un inconnu dans le gouffre des enfers.

La lunette est généralement chauffée. Cela n’a l’air de rien mais ça n'est pas rien. L’écart de température entre le siège et le Siège est infime, pour ainsi dire nul ; s’opère alors une quasi fusion entre les deux, qui ne font plus qu’Un. On est replongé dans cette sécurité fondatrice, celle du bien-être total qui précède la naissance. Enveloppé dans cette matrice, il est possible de passer à la phase utile à proprement parler. Certains dispositifs sophistiqués sont équipés d’un bouton « musique » que l’on peut actionner à loisir, et dont l’objectif est de dissimuler tout bruit indésirable aux oreilles de ceux qui dînent dans la pièce voisine, et qui se sont miraculeusement donnés le mot pour se taire. Le corollaire est que l’apparition de ladite musique sonne comme un aveu terrible, elle hurle à tous « l’heure vient, et c’est maintenant » ; l'honnêteté m'oblige à admettre que la bande son est plutôt un bruit d'eau. Je n'ai pas encore vu de modèle qui lance la symphonie héroïque ou la lettre à Elise. Quoiqu'il en soit il faut une certaine dose de panache et de confiance en soi pour réintégrer ensuite la discussion en faisant fi de certains sourires narquois.

La description ne serait pas complète sans l’évocation des jets facétieux des toilettes japonaises, qui sont d’ailleurs maintenant bien répandus dans le monde. Directement inspirée du bassin de Neptune (il n’y a bien sûr ni les chevaux triomphants ni les divinités menaçantes, cela pourrait être un plus), leur conception confine au sublime. On passe quelques semaines avant de maîtriser pleinement cette machinerie complexe et de pouvoir donner les bons ordres avec les bons boutons à ces snipers infaillibles. Cette phase initiatique donne forcément lieu à quelques surprises lorsque des débutants se lancent, et il n’est pas rare d’entendre des éclats de rires et des « houla !» derrière la porte. Les déconvenues initiales ne doivent pas décourager, elles sont les prémices nécessaires à l’atteinte d’une humanité meilleure.

Le travail avec les japonais

Sujet plus sérieux ! c’est un vrai enjeu pour moi tant les codes sont différents ; et arrivant de Chine, c’est encore plus criant. On est surpris par la difficulté à accéder aux sentiment profonds et à sortir de la hiérarchie et des convenances (omniprésentes au Japon). Une fois ce deuil fait, on comprend que les horaires journaliers ne seront pas propices à la confidence, et que les discussions sans façades auront lieu en afterwork, généralement après quelques verres (!!) de saké.

Il faut aussi noter la profonde culture du consensus social dans les entreprises japonaises. Les décisions verticales et abruptes sont assez vaines et sans suite – la résistance passive scellera leur destin, alors que celles qui résultent d’un constat partagé et mûri font l’objet de mises en œuvre efficaces et rapides.

En vrac, dans les petites pratiques qu’il faut connaître : on n’arrive jamais face à un client avec son manteau qu’on enlèvera, puis remettra, dans le hall de l’immeuble. Le client est vraiment roi et on se prosterne littéralement pour saluer et surtout prendre congé. L’âge est en soi un marqueur de compétence, c’est là un de mes défis. La solidarité est réellement forte dans les équipes, et au-delà des mots, il y a une entraide et la volonté que chacun tienne sa place, dans le bon sens du terme.

Pour finir, j’ai été accueilli avec beaucoup de gentillesse et nous avons trouvé notre mode de fonctionnement assez vite.

Le onsen

Littéralement source chaude, ce bain thermal est une véritable institution ; on ne peut pas passer à côté au Japon. L’eau chaude est issue de sources volcaniques et on lui prête certaines vertus (rien de bien croustillant hélas).

Il est tout de même à noter qu’on s’y baigne entièrement nu, hommes et femmes séparés. Cela nécessite pour l’indécrottable puritain que je suis de passer un petit cap psychologique dans la perspective des vacances en famille, en me convaincant que mes fils ne perdront pas la vue et réussiront encore à m’appeler « papa » après cette expérience.

Tout marche

C’est connu, mais au Japon tout fonctionne. Les trains partent à l’heure, on suit avec une discipline d’écolier les marquages au sol, les mouvements de foules sont organisés, les règles scrupuleusement suivies, tout est propre et entretenu. Les déplacements en transport en commun se font dans un silence à la fois reposant et oppressant. Et si en Chine, nous passions pour civilisés dans le métro avec nos chères petites têtes blondes vaguement turbulentes, nous sommes ici obligés de nous aligner pour ne pas être pris pour des sauvages indomptables. « Ne t’allonge pas sur les sièges », « Remets ton masque », « Arrête de mettre des miettes partout », « ne hurle pas quand tu parles », « tu veux mes doigts ? » sont autant d’interventions bienveillantes que nous dispensons aux enfants. Tels des caméléons habitués à nous fondre dans tous les environnements, personne ne nous remarque. Le vide qui se créée invariablement autour de nous ne peut être que le fruit du hasard.

On peut aussi évoquer les fameux Konbinis, supérettes 24/7 dont le fonctionnement est bien décrit dans l’excellent livre « les Japonais » de Karyn Poupée prêté par mon ami Jean Baptiste. Ces magasins sont partout, ne contiennent que l’essentiel et vous permettent à toute heure de payer vos factures, prendre des billets d’avion, de théâtre, retirer de l’argent etc. Chaque magasin est interconnecté avec les compagnies d’électricité, de transport, de loisir, et là encore tout fonctionne parfaitement. C’est le commerce de proximité par excellence

Les séismes

Il faut s’habituer aux petites secousses nocturnes, généralement assez faibles, mais qui réveillent tout de même. Les téléphones japonais sont équipés d’un système d’alerte : le principe est qu’en cas de secousse à venir d’une certaine intensité, le téléphone s’allume en haut-parleur, volume maximal, et hurle « ALARM EARTHQUAKE, ALARM EARTHQUAKE », afin de vous donner quelques secondes pour vous mettre à l’abri. On se retrouve alors assis sur son lit, hagard et hirsute, à hésiter entre attendre et aller réveiller les enfants ; encore à moitié endormi on finit quand même par se lever et forcément par se cogner le petit doigt de pied sur un meuble en déambulant dans le noir. C’est à ce moment, recroquevillé par terre et agité de sanglots en maudissant le ciel d’avoir autant de nerf dans un simple orteil, que la secousse vient. Il arrive aussi que ça bouge sans qu’aucune alerte n’ait été émise. 

Le moment un peu stressant est le début des secousses car on guette un peu l’amplification / l’emballement du phénomène, évidemment inconnu.


La gastronomie

Qu’en dire ? Comme dans bien des aspects de la vie quotidienne, le raffinement, la technique et la qualité font rarement défaut. La diversité également. Au-delà des sushis, sashimis et autres tempura, on se régale de gyoza, ramen, okonomiyaki (pizzas japonaises dont chaque région a sa déclinaison) etc.

C’est suffisamment connu pour ne pas s’y étaler trop longtemps. J’ai tout de même un peu de mal avec les sushis de crevette (crue) …

A propos des sushis, il est à noter qu’on peut les manger avec les doigts, la règle étant surtout qu’il vaut mieux éviter de perdre au passage quelques grains de riz dans son ramequin de sauce soja. Ça fait un peu plouc.

Pour finir

Il y a encore tant à dire, mais on a quelques années pour ça, et finalement le truc du Corps et de l’Esprit, j’y ai jamais rien pigé. 

Commentaires

  1. Quelle inspiration ! On attend la suite de vos aventures à Hokkaido !

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