Chronique de l’expatrié insupportable - petite caricature gratuite


L’avantage d’habiter en Chine, c’est qu’on peut vite revendiquer un petit domaine d’expertise sur le pays, la culture, la politique etc. C’est bien utile en société. De passage en France, il est facile de prendre un ton énervant et de pérorer un peu. Quel que soit ce que vous dites, personne n’osera trop vous contredire ni mettre fin brutalement à la discussion, de peur de passer pour un ignare qui ne s’intéresse pas « aux Grands Défis du Monde, qui change, là… sous nos yeux !! » 

Il faut donc commencer par capturer la discussion. Les débats ne tournant pas toujours autour de vous, il faut attendre silencieusement qu’une occasion se présente, comme un pêcheur qui guette son bouchon. Mais dans les faits ça mord souvent et c’est assez facile de ferrer, à partir de n’importe quel thème. Exemple : si vous entendez « vous avez vu les gilets jaunes qui continuent? » il faut vite vite répondre « Tiens, voilà encore un truc que les chinois ne peuvent pas comprendre… » Votre interlocuteur laissera généralement échapper « Ah bon ? ». C’est gagné : « Ben bien sûr, tu t’rends pas compte ! etc. » Vous pouvez enchaîner sur Votre Vision et passer à la deuxième étape.

Cette deuxième étape est plus théâtrale. Il faut prendre un air inspiré et faire silence quelques secondes (il est préférable de joindre les mains), en ayant l’air de mettre de l’ordre dans ses pensées. Ensuite, prendre une inspiration et commencer lentement sa phrase par : « Ce qu’il faut bien avoir en tête avec la Chine (ou les chinois), c’est … ». Cette étape est importante car bien réalisée, elle assied votre propos et vous place dans la position du sachant. Ajoutez ensuite des concepts qui sonnent chinois et le tour est joué. Cela donne de jolies phrases du genre « Ce qu’il faut bien avoir en tête avec la Chine, c’est qu’après plus de 2000 ans de confucianisme, le rapport à la société est complètement différent ». Ça ne veut pas dire grand-chose mais on peut penser que c’est issu de l’expérience d’une vie en immersion, et comme pas grand monde ne sait ce qu’est le confucianisme (à commencer par vous), cela pose son bonhomme. Vous passerez pour un érudit alors que vous n’êtes qu’un misérable, qui passe sa vie au bar avec des potes australiens qui sentent la bière.

Dans la suite de la discussion il faut étayer avec des choses vues dans la rue, des ragots et quelques lieux communs. Quel que soit le sujet, il faut matraquer à quel point « c’est vraiment très différent », et combien « on ne peut pas comprendre en France ».

Parfois cependant, il y a des objecteurs. Des gens qui sentent l’arnaque. Des dangers. Mon conseil dans ce cas est de rendre votre propos imparable - et invérifiable . Il faut alors répondre en commençant par « Je sais pas d’où tu sors ça, mais moi quand je vais faire mes courses à 三里屯 (à prononcer en forçant/inventant l’accent), bla bla bla ». En réalité la seule chose que vous ayez jamais achetée à 三里屯c’est des pintes de bière avec des potes australiens mais ça personne ne le sait. Vous triompherez par cette petite facilité.

Il faut tout de même concéder un inconvénient minime à cette brillante stratégie : Assez vite vous passerez pour un bavard ennuyeux, les gens finiront par comprendre que vous dites n’importe quoi et vous perdrez vos derniers amis.

De retour en Chine, vous reprendrez alors votre vie solitaire, à boire des coups à 三里屯 avec des potes Australiens qui sentent la bière.

Vous pourrez alors toujours tenter un « Ce qu’il faut bien avoir en tête avec la France, c’est … ».

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