Elevons le débat

« L’enfer c’est les autres » a écrit Sartre qui aimait à ajouter avec un malicieux sourire, au cours de soirées arrosées, « mais le paradis est aux toilettes ".

Et puis Jean Paul Sartre est allé en Chine, il a été aux WC, il est revenu. Et il a écrit coup sur coup « la Nausée » et « les mains sales ». C’est dire l’effroi qui glace lorsque, saisi par un besoin pressant, on se met en quête d’un lieu d’aisance en Chine.

(fin de la parenthèse culturelle)

Dans l’Empire du Milieu le raffinement et la sophistication s’évaporent, contrairement aux odeurs, lorsque l’on passe la porte des toilettes. C’est sur le qui-vive et préparé mentalement qu’il faut aborder l’épreuve, à laquelle on ne se résout que lorsque toute attente est devenue impossible, lorsque la volonté de tenir coûte-que-coûte capitule face à l’implacable loi de la nature. Un mouchoir blanc de reddition à la main (il n’y a généralement pas de papier), encore marqué par la lutte intestine qu’il vient de perdre, le vaincu s’avance alors en chancelant vers un destin tragique.

 

L’installation sanitaire se présente dans le meilleur des cas « comme chez nous », ou comme chez nos amis turcs. Dans ce cas, le mode opératoire est connu et la difficulté consiste alors à effectuer ses basses besognes en apnée totale sur un temps long, en ayant pensé à prendre son mouchoir blanc. Certains témoignages font état d’Expériences de Mort Imminente (EMI) dans ces instants critiques : l’âme se dissocie alors du corps et flotte doucement dans la pièce. Parfois des « Êtres de Lumière » apparaissent, une clarté aveuglante et une sensation d’Amour intense enveloppent la personne dans un état second. Des hallucinations se produisent (généralement des farandoles de canard WC et d’ARPIC). Et puis les Êtres de Lumière tournent les talons en disant « ça pue », l’âme pousse un cri et revient dans le corps en tremblant pour n’en plus jamais sortir.

En s’éloignant du centre-ville, on tombe parfois sur des installations plus sommaires : généralement d'immense fosses septiques « open-top », au-dessus desquelles d’étroites solives en bétons (les moins bricoleurs iront sur internet) sont disposées en guise de plancher, pour servir d’appuis à des jambes mal assurées qu’une posture dégradante peut achever de déséquilibrer à chaque instant. On frémit devant le danger de la chute, et les chinois eux-mêmes préfèrent déserter l’endroit pour privilégier ses alentours immédiats.

Qu’est ce que tout cela dit de la Chine, et de l’Homme en général? Aucune idée, mais Xi Jinping s’est en tous cas emparé du sujet et a appelé en marge du XIXe congrès à une « Révolution des toilettes »... Besoin qui ferait sourire s’il n’était pas, lui aussi, tellement pressant.